SYNOPSIS : |
Et les années passèrent, je devenais grand,
J’allais très fièrement bientôt sur mes dix ans !
Dans la cuisine, plus de photo de Pétain,
Mais celle de De Gaulle, et nous les trois gamins
1060. On trouvait qu’il avait un peu l’air d’un géant
Qui se pliait en deux, serrant la main des gens.
Mon père se plaignait que rien n’avait changé
Que ce soit le Thorez ou bien le Ramadier !
Il disait que ses bottes demeuraient trouées,
1065. Qu’il n’avait pas d’argent pour pouvoir en changer,
« Et tickets pour le pain, et tickets pour le vin,
La viande, les habits et tout le saint-frusquin ! »
Il écrivait cela, fin de quarante-six,
Doutant que tous les plans annoncés réussissent,
1070. Et critiquant beaucoup tous les politiciens,
Avec des élections qui ne servent à rien. . .
Mais sa casquette neuve lui paraît moins moche,
« Elle n’est plus, dit-il, comme celle des Boches ! »
Il a beaucoup de peine, pourtant, car à Fère,
1075. Il y a quelque temps, il a perdu son père.
Il s’est précipité, mais à son désespoir,
Il y est arrivé trop tard pour le revoir...
Mais un matin de Juin, et en quarante sept,
Comme j’étais assis et faisais la causette
1080. À mon voisin avant que la classe commence,
Mon père est arrivé et dans un grand silence
Il m’a pris par la main et il m’a emmené
Me disant : « Aujourd’hui, ton petit frère est né ! »
J’étais très étonné, ignorant tout des choses
1085. Que se disaient entre elles, les lèvres mi-closes
Ma mère et ma tante Suzette, même si,
Je voyais que ma mère avait beaucoup grossi.
On me mena dans la chambre, où je vis
Une chose un peu rose avec du bleu aussi,
1090. Et qui bientôt criait et qui gesticulait. . .
On me dit : « C’est Michel ! » et si je répétai,
Cela ne signifiait pas grand-chose pour moi,
Une curiosité, certainement, je crois,
Même si, bien plus tard, nous avons fait la paire,
1095. Avant que nos chemins très largement diffèrent !
A la rentrée suivante, étant au CM2,
Notre Maître nous lut, sur un grand papier bleu
Ce qui avait pour titre “La Constitution”.
Je n’ai pas trop compris quelle était la question,
1100. Mais en sortant le soir, quand je vis sur le mur
Une affiche, je me suis dit : « Mais oui, bien sûr !»
Puisqu’il était question d’en finir de la guerre,
Par un traité de paix entre les peuples frères !
De ce jour-là, je sus que les bonnes paroles
1105. N’ont de valeur que pour tous ceux qu’elles cajolent !
Mais un jour mon bon Maître en la “Leçon de Choses”,
Ce que j’aimais beaucoup, préoccupé des causes,
Nous ayant démontré la supériorité
Sur tous les becs de gaz, de l’électricité,
1110. Osant lever le doigt, je lui ai demandé
Ce que c’était, qu’il veuille bien me l’expliquer,
Cette chose curieuse, et même mystérieuse !
Le Maître alors me dit de façon sérieuse :
« Personne ne le sait, on la voit, et c’est tout.
1115. Les éclairs de l’orage peuvent tomber partout,
Mais on ne sait pourquoi, et on ne sait pas où ! »
Cette réponse m’a mis les sens dessus dessous :
Je ne pouvais pas croire que lui, si savant,
Il ne puisse savoir ce qu’était le courant !
1120. Je me mis en devoir d’éclaircir ce mystère,
Et décidai alors comme préliminaire,
De convaincre certains de mes copains de classe
De fonder avec moi un “club” donnant la chasse
À l’électricité, et dont les découvertes,
1125. Certainement rendraient les autres désuètes !
La première séance nous réunit à trois,
Et quant à la suivante... il n’y eut plus que moi !
Je me suis consolé en recherchant des livres,
Emprunté ci et là, car je voulais poursuivre
1130. Ma grande idée... pourtant je n’ai jamais trouvé
Que ce que pouvait faire l’électricité
Quand je voulais savoir de quoi elle était faite...
Et pendant très longtemps je me creusai la tête :
Ce n’est que bien plus tard, grâce à l’informatique
1135. Que j’ai compris enfin ce qu’est l’état quantique !
Cette année-là, en mil neuf cent quarante-sept
On est partis très loin, en emmenant “Nénette”,
Que nous aimions beaucoup, qui n’avait pas vingt ans,
Et qui venait chez nous à peu près tous les ans.
1140. Mon père avait enfin acheté des pneus neufs
Pour la Peugeot, et même réparé le toit
Qui sous les averses fuyait un peu, parfois !
Tout était donc au point pour notre grand voyage,
Au Mont St Michel et Fort-Mahon, la plage.
1145. Ma mère m’avait fait avaler des pilules
Car même si j’étais un peu tête de mule,
Je craignais tellement d’avoir trop mal au cœur
Que j’aurais avalé la boîte avec bonheur.
De bonne heure un matin tout le monde s’entasse,
1150. Et le voyage est long et vite je m’en lasse...
Dans les descentes le moteur qui accélère
Fait un bruit sourd, comme celui, pendant la guerre
Des bombardiers lointains de la “Royal Air force”
Passant pendant des heures, comme bêtes féroces,
1155. Ronrons de chats sauvages menant sarabande
Pour aller ravager les villes allemandes,
Et nous pensions à ceux des français prisonniers
Qui seraient bombardés, comme notre “Dédé” :
Tante Odette pleurait toujours en le disant...
1160. Je m’étais endormi sûrement, et j’entends :
« Guy regarde par là, et qu’est-ce que tu vois ? »
Je ne vois pour l’instant que l’herbe qui poudroie,
Le nez sur le carreau, tout comme la princesse,
Les arbres que secoue le vent, et les caresses
1165. Des nuages au ras de l’horizon... Soudain
Comme un trou déchiré dans un décor mal peint
Un rayon de soleil badigeonne de blanc
Une sorte de mur, on dirait du ciment,
Au pied duquel je vois un troupeau de moutons
1170. Qui s’en vont et reviennent, reviennent s’en vont,
Sur un pré qui s’agite, et dont l’herbe est si bleue...
« C’est la mer ! Tu la vois ? Maurice, arrête un peu ! »
Je me dis : « c’est donc ça ? » Sur les calendriers
J’avais vu des bateaux, des pêcheurs en cirés,
1175. Je fus un peu déçu, de la voir si petite,
Mais une fois en bas, et pieds nus, vite, vite,
Nous avons tous couru sur les galets luisants
Puis le sable mouillé, essoufflés — et contents !