Un pacte de trahison § Laisse 28 Guenes chevalchet suz une olive halte, Asemblet s'est as sarrazins messag[es]. Mais Blancandrins ki envers lu s'atarget; Par grant saveir parolet li uns a l'altre. 370. Dist Blancandrins : « Merveilus hom est Charles, Ki cunquist Puille e trestute Calabre; Vers Engletere passat il la mer salse, Ad oes seint Perre en cunquist le chevage : Que nus requert ça en la nostre marche ? » 375. Guenes respunt : « Itels est sis curages, Jamais n'ert hume ki encuntre lui vaille. » aoi. § Laisse 29 Dist Blancandrins : « Francs sunt mult gentilz home; Mult grant mal funt e [cil] duc e cil cunte A lur seignur, ki tel cunseill li dunent : 380. Lui e altrui travaillent, e cunfundent. » Guenes respunt : « Jo ne sai veirs nul hume, Ne mes Rollant, ki uncore en avrat hunte. Er matin sedeit li emperere suz l'umbre; Vint i ses nies, out vestue sa brunie, 385. E out predet dejuste Carcasonie; En sa main tint une vermeille pume : « Tenez bel sire, » dist Rollant a sun uncle, « De trestuz reis vos present les curunes. » Li soens orgoilz le devreit ben cunfundre, 390. Kar chascun jur de mort [il] s'abandunet. Seit, ki l'ociet, tute pais puis avriúmes. » aoi. § Laisse 30 Dist Blancandrins : « Mult est pesmes Rollant, Ki tute gent voelt faire recreant, E tutes teres met en chalengement ! 395. Par quele gent quiet il espleiter tant ? » Guenes respunt : « Par la franceise gent. Il l'a[i]ment tant ne li faldrunt nient; Or e argent lur met tant en present, Muls e destrers, e palies e guarnemenz; 400. L'emperere meïsmes ad tut a sun talent. Cunquerrat li les teres d'ici qu'en Orient. » aoi. | Un pacte de trahison § Laisse 28 Ganelon chevauchait sous une oliveraie, Faisant route avec les messagers sarrazins; Mais voici Blancandrin qui près de lui s'attarde : De grande habileté l'un et l'autre font preuve; 370. Blancandrins dit : « Quel homme merveilleux est Charles ! Il a conquis la Pouille et toute la Calabre; Il a passé la mer pour vaincre l'Angleterre, La forcer à payer le denier de Saint Pierre; Que veut-il donc de nous là-bas, sur notre terre ? » 375. Ganelon lui répond : « C'est dans son caractère. Jamais personne au monde n'aura sa valeur. » § Laisse 29 Blancandrin répondit : « Les Francs sont honorables ! Mais les mauvais conseils de ces ducs et ces comtes Ont vraiment fait beaucoup de tort à à leur seigneur ! 380. Ils le mènent à sa perte, et d'autres aussi. » Ganelon lui répond : « Je n'en connais pas d'autres, Si ce n'est que Roland, qui s'en repentira. Hier matin, à l'ombre l'empereur assis, Vit venir son neveu, revêtu de de sa brogne; 385. Ayant fait du butin autour de Carcassonne; Il tenait à la main une pomme vermeille, Et il dit à son oncle : “Prenez-la, beau Sire, Les couronnes de tous les rois, je vous les donne !” Son orgueil devrait bien le conduire à sa perte, 390. Lui qui la mort affronte et défie chaque jour. Si quelqu'un le tuait, n'aurions-nous pas la paix ? » § Laisse 30 Balancandrin dit :« Roland est vraiment odieux : Il veut que tout le monde soit à sa merci, Et a des prétentions sur tous les territoires ! 395. Sur qui donc compte-il pour faire autant d'exploits ? » Ganelon lui répond : « Sur l'armées des Français ! Ils l'aiment tellement qu'ils lui viendront en aide. Et il leur fait tant de cadeaux d'or et d'argent, Mulets et destriers, harnachements, étoffes... 400. Et même l'Empereur obtient tout ce qu'il veut : Pour lui il conquerra tout jusqu'en Orient ! » |
brogne : En ancien français central, ce mot désignait la tunique de cuir sur laquelle étaient cousus des plaques ou des anneaux de métal, qui évolua plus tard en cotte de mailles. Je préfère conserver ce mot plutôt que cuirasse (P. Jonin), qui désigne une pièce métallique complète.
Carcassonne : Les érudits ont mis en doute le fait qu'il puisse s'agir de la ville de Carcassonne, Charlmagne étant censé (Laisse V) être occupé par le siège de... Cordoue (« Cordres la cité »). Mais cette raison n'est pas valable : les poète/jongleurs de l'époque, ou bien n'avaient aucune connaissance de la géographie, ou bien, et plus probablement ne faisaient figurer dans leurs textes que des noms supposés être évocateurs dans l'esprit de leur public. Alors pourquoi pas « Carcassonne » ? Quant à transcrire par « Carcasoine » comme l'a fait G. Moignet (Cf. Biblio, N°5) je ne trouve pas cela joli du tout.